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Marché de la poésie

mercredi 16 juin 2010, par Gérard Lambert - Ullmann

C’est le printemps et il fait poussière sur la place devant l’église. S’y tient l’annuel "Marché de la poésie", sous le patronage de l’éditeur Jean-Michel Square.
Comme un vrai marché : étals de planches, tubes métalliques emboîtés, dais en bâche folle, pare-vent d’un beau vert palissade.
Mais rien des coloris et des sentis émanant des charettes de quatre saisons, des éventaires garnis de la crémière, du boucher, du cordonnier, de la mercière, du marchand de couleurs. Nul camelot populaire, aucun social traiteur. Pas de ces : "Elle est belle, elle est belle, elle est belle !", ni de ces "Fraîche, la marée, fraîche !" qui racolent activement la rue de Lévis ou la place d’Aligre.
Ici, les salades sont en tirages numérotés, les navets sont partout et les cornichons tout autour. Pas de beurre pour les plaquettes, pas de fromage pour les vers, rien ne se monnaie par demi-livre. Ici, ni cohue en cabas, ni éclat de voix. On parle bas - quand on parle. On feuillette négligemment - quand on feuillette. On achète parcimonieusement - quand on achète.
Si, dans l’église en face, d’un charabia l’autre, une bonne moitié des ouailles émarge à la condition écclésiastique, on peut tenir pour acquis que la quasi-totalité des chalands de ce "marché" a déjà, une fois au moins, publié son opuscule. On peut même aller jusqu’à parier que tout visiteur d’un stand en tient un autre, dans la travée voisine. Sauf un ou deux sénateurs en promenade instructive.
Les pohètes parlent aux pohètes, et ça bêle comme un parapluie baratinant une machine à coudre.

Jimmy Gladiator, Éléphants de la patrie, Libertalia.