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Une affaire sensationnelle

mercredi 28 janvier 2009, par Gérard Lambert - Ullmann

Jacques Bertin est un paisible caustique. Présentant son roman, il demande : Dans quelle mesure l’auteur se moque-t-il du monde ? Pourquoi prend-il le risque mortel d’écrire, en 2008, une histoire édifiante, populiste, régionaliste, naïve à beaucoup d’égards ? Ironie préventive sur la manière dont ce livre sera reçu à une époque où il est de bon ton, pour intéresser, de faire du tapage.
Mais ceux qui, ayant aimé ses chansons et poèmes, et la lucidité de ses chroniques, ou –au contraire- ne les connaissant pas, voudraient savoir comment il vient ici emmerder la littérature ne seront pas déçus. Ce roman est un beau roman ; une histoire d’amour et de dignité, solide comme la Loire qui l’accompagne. La Loire qui est un personnage à part entière de ce livre. La Loire dont on guette la crue qui arrive comme une cinquième saison : Elle s’amenait dans les boires, d’abord, comme une bête qui rentre après une virée, un peu honteuse, retrouvant ses odeurs, respirant son territoire. Elle léchait les talus, les pieds des saules, des frênes. Puis elle s’installait dans les prés, sans hâte, sans hargne, sans violence. Et un matin, un coup de clairon de soleil et de givre annonçait qu’elle avait tout envahi ; elle était dans votre jardin et vous demandait de l’aimer.Ça se passe à Chalonnes, petite ville endormie où l’on s’emmerde beaucoup. Chalonnes où, autrefois, les excès débarquaient des bateaux et où, à ce moment, dans les années 50, depuis la mort de la batellerie, La Loire a le statut des oeuvres d’art. C’est un trésor rangé dans la commode. C’est la salle à manger familiale qui ne sert qu’aux grandes occasions. Et pas pour se rouler sur le plancher. Chalonnes où l’on n’élève jamais la voix ( ! ) Lorsque l’Histoire l’appelle, le Chalonnais est occupé au fond du jardin ; il lui faut le temps d’en remonter : c’est un peu long, oui, mais ça lui évite de dire des bêtises, croit-il. Chalonnes, cul de sac où Edmond se retrouve coincé, regardant sa vie s’échapper comme l’eau par le trou béant de l’évier. Edmond, solitaire, qui voit désormais tous les gens petits.
Mais Chalonnes, c’est aussi le lieu où vit Léonie, celle que l’on voit vieille fille (Célibataire à 39 ans, vous pensez !) et que, dans les repas de fête, on installe au bout de la table. Léonie dont Edmond s’aperçut qu’elle avait tout de même un petit humour incisif, et lucide quoique sans méchanceté, une drôlerie de timide qui sifflait comme un canif sur le pied d’une fleur. Léonie qui va changer la vie d’Edmond en lui proposant ce coup sensationnel : le vol de la grosse Peugeot 402 de la Banque de France. Et ça va se faire au coeur de l’été. Cet été de l’Anjou, comme un mousquetaire à rapière, terrible mais tendre, qui bien avant le crépuscule oublie ses querelles et s’endort les pieds dans l’eau.

Jacques Bertin, Une affaire sensationnelle, Le Condottiere, 18€.