Accueil > Conseils de lecture > Toujours à la carte > Syngué sabour (Pierre de patience)
Syngué sabour (Pierre de patience)
lundi 13 octobre 2008, par
Atiq Rahimi est un charmeur de serpents : aux venimeux cobras du mensonge, de la connerie et de la haine, il impose une danse fascinante. De leurs poisons, il tire des oeuvres minérales, d’une beauté cinglante.
Syngué sabour est, dans la mythologie perse, une pierre que l’on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses misères. La pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets, jusqu’à ce que, un beau jour, elle éclate. Ce jour là on est délivré.
Dans une maison cernée par la guerre, une femme parle à son mari blessé, immobilisé et silencieux. Elle en fait sa Syngué sabour : encouragée par le manque de réaction de ce « cadavre vivant », elle libère ce qu’elle a accumulé en elle au fil d’une vie ; elle dit, ses douleurs, ses peines, ses colères ravalées, ses secrets. Et ce qui apparaît peu à peu c’est le désarroi du corps malmené, torturé par les carcans obscurantistes. Corps de la femme privé de tendresse, de caresses, de plaisir ; privé même de la possibilité de parler à quelqu’un, de toucher, une main, des cheveux, une épaule ; corps réduit à l’état de « viande où l’homme enfonce sa bite ». Mais, aussi, corps de l’homme desséché par une virilité de granit, gangréné par son ignorance et sa peur de la sensualité, abruti par les préceptes hypocrites de la prétendue pureté « sainte », pourri par les mensonges silencieux, la bile, la haine.
En se vidant par ce monologue, la femme s’emplit d’audace, de dignité, de vie. Elle se libère ! jusqu’à ce que la Syngué sabour éclate.
Ce livre d’Atik Rahimi a la beauté d’un superbe Taqasim, cette forme d’improvisation instrumentale de la musique orientale. C’est un Taqasim parlé qui égrenant et répétant ses notes envoutantes nous mène avec une lenteur toute persane vers la douloureuse évidence.
Syngué sabour est « écrit à la mémoire de N.A., poétesse afghane sauvagement assassinée par son mari ».
Gérard Lambert-Ullmann.
