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Le soleil des vivants

lundi 13 octobre 2008, par Gérard Lambert - Ullmann

« Quand les chevaux du temps s’arrêtent à ma porte Je ne puis m’empêcher de les regarder boire
Puisque c’est de mon sang qu’ils étanchent leur soif. »

Ce poème de Jules Supervielle que Monsieur Louis aimait et que le pasteur récita à son enterrement résume clairement ce à quoi sont confrontés les personnages de ce livre : Ils sont là, les chevaux du temps, hennissant en réponse à ces autres chevaux sauvages qui reviennent chaque année dans les forêts près de Brassac, ce « pays » qui même en plein soleil reste sombre, où « tout semble tirer le ciel vers le sol ». Ils galopent, les chevaux du temps, sur les vies des vieillards ayant connu l’époque où le manoir de pierre noire, devenu leur maison de « repos », bruissait d’une autre manière, et qui le racontent de leurs voix croisées. Marthe, l’ancienne domestique, aujourd’hui centenaire qui, hier, se riait du péché : « Quel péché ? J’aimais l’écorce contre mes reins, l’odeur de la mousse qui gonflait mes narines et m’étouffait tandis que le ciel explosait dans mon ventre et me brûlait comme un grand jet de grêle. » et qui voit venir vers elle le « soleil des morts » en écoutant le piano magique d’Adrien Laure dont « les doigts de singe font trembler les vierges en mal d’amour et les banquiers qui rêvent. » Le pasteur Paul, qui ne peut retenir, malgré son âge, son émoi devant la jeune femme nouvelle venue quand « Tout à coup, buste penché, son verre entre les paumes, elle s’anime. Ce sourire, de nouveau, luisant, si proche, ce parfum discret, très doux, l’odeur de sa peau, tout simplement, ces yeux gris sombre et ce regard, mon Dieu, ce regard semblable à tous ceux qui, jadis, me faisaient chavirer. » Et le poète au nez d’archiduc, aimé des femmes, qui, assistant incognito à une lecture d’un texte qui lui a été dédié, s’entend dire qu’il est mort. Et Marie Alice, la chipie aveugle que, dans sa jeunesse, « quand elle était dodue ! fière de ses nénés », Monsieur Louis bécotait près du pont de bois. Tous, bientôt, rejoindront ce Monsieur Louis, mort il y déjà longtemps, mais qui reste au centre de leur histoire, de leurs combats de maquisards, de leurs amours lestes ou éthérés, de leurs pertes, de leurs peines.

Un parfum de Grand Meaulnes flotte autour de ce livre superbe. Tout ce qu’il évoque, quoique solidement ancré dans la réalité, se trouve, comme par magie, habillé d’onirisme. On en sort comme d’un rêve émouvant, avec la même sensation palpitante, la même envie de retrouver ce qu’on y a laissé, qui déjà devient flou ; avec l’envie d’y retourner.

Gérard Lambert-Ullmann.

François Thibaux, Le soleil des vivants, L’aube, 16,80 €.