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Kiki de Montparnasse

mercredi 5 août 2009, par Gérard Lambert - Ullmann

On dirait du Bruant ou du Mac Orlan. La même gouaille populaire y est à l’oeuvre, avec ses expressions qui font mouche : « Il pleut comme si c’était gratis. Pour ne pas changer j’ai des souliers Boileau ». Mais ce n’est pas du roman. C’est une histoire vraie. L’histoire d’une môme de rien du tout qui, après avoir traîné dans la mouise, est élue reine du Montparnasse qui s’amuse. Elle est copine de Soutine, Foujita, Desnos. Man Ray la prend en photo. Des ministres noctambules la courtisent. Pendant des mois, tous les soirs, « une splendide Hispano » l’attend pour la conduire « au Claridge » où « un délicieux souper se prépare ». Mais « Pouah ! Faire ça pour de l’argent ! » Pas question. Elle envoie une amie « qui a moins de scrupules », et commente : « Au milieu de toutes mes orgies et mes nuits de folie, c’est la seule chose que je n’ai jamais salie, l’amour ». Ça n’est pas par frigidité. À treize ans, elle travaille dans un atelier de brochage : « Mon premier boulot m’a tout de suite emballée. C’est la reliure du Kama Sutra. Il y avait là-dedans de quoi m’échauffer les oreilles et donner à mes entre-cuisses des mouvements d’ailes d’oiseau qui n’arrive pas à s’envoler ».

C’est sans doute cette sincérité qui valut à ce livre les foudres de la censure américaine : publiés en 1929, les « souvenirs » de Kiki, préfacés par Hemingway, sont aussitôt interdits. Neuf ans plus tard, elle en rédige une autre version qui ! disparaît dans un tiroir pendant 65 ans ! C’est ce manuscrit « infiniment précieux », retrouvé par un heureux hasard, que les éditions Corti nous proposent aujourd’hui. On y trouve, sans fard, le récit d’une vie où, fuyant la vache enragée fréquentée de bonne heure, la seule chose qui compte c’est : s’amuser. « Riches ou purés, tous étaient pleins de gaieté ». Ce sont les brèves années du Montparnasse fêtard, aux artistes fauchés et généreux, au champagne abondant et aux maigres miettes partagées au coin d’un poêle. Mais, comme dans une de ces « chansons de bouge » que, dit on, elle interprétait si bien : « Paris inconstant s’est lassé, passant à d’autres artifices et laissant le joujou brisé ». Kiki grossit, se drogue, se désintoxique, se range. « Je n’ai jamais pu faire disparaître un fond de tristesse et de sensiblerie. Le docteur m’a dit que c’était la rançon de trop nombreuses journées passées à avoir faim ».

Kiki, Souvenirs retrouvés, Corti, 19 €