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Nu précipité dans le vide.

mercredi 5 août 2009, par Gérard Lambert - Ullmann

C’est une jeune femme qui va vers un poète défunt ; une jeune femme qui, lucidement, se voit bizarrement « entichée d’un poète défunt », celui-là : l’apatride, qui a fui autrefois le « filet de fer » où « il fallait chanter d’une voix fière et juste » ; celui-là : l’homme qu’elle a vu sur un film, tout de noir vêtu dans un espace blanc, lisant ses poèmes d’une manière qui l’avait menée à se sentir soudain « la gorge nouée » et lui avait donné l’envie de répondre à ce « pourquoi ? » ; l’envie de remonter à la source, dix ans plus tôt, là où elle avait vu autrement l’homme en noir fatigué, l’homme « qui a beaucoup joué avec les cahots de son propre souffle » et qui marche, la nuit, avec « dans les os » toute la traversée du vingtième siècle « et tous les charniers sus ».
Elle veut comprendre « comment tombent les poètes la nuque en avant ». Elle est honnête, ne triche pas : avoue qu’il n’y a eu en elle, d’abord, « aucune écoute des mots qui sont écrits là », qu’elle « n’y comprend rien », qu’elle est « sourde » et que, peut être, il n’y a que sa mort qui l’intéresse. Mais elle explique qu’ensuite est venu le mot qui le lui a « fait très proche » : le mot « timidité ».
Dès lors, elle marche dans ses pas. Plus qu’avec lui, elle marche pour lui et nous entraîne à sa suite. Elle dit comment il décida d’écrire sur les murs de la ville, au temps où « des hommes au visage tuméfié mourraient sur la paille des cachots » : « S’il ne reste rien d’eux alors de moi aussi bien ». Elle dit comment il a trouvé son nom. Elle dit comme ça surprend quand il rigole, « laisse passer du vent entre les neurones ( ! ) éclate de mou rire ». Elle dit, aussi, celles dont l’appel « engageait à durer », celles qui sautillaient au milieu des pièges, et « l’aimée » à qui il faudra demander le droit de toucher la peau des mots.
Elle avance, trébuche, hésite, s’illumine et nous séduit de sa douce audace.
De ce qu’elle ait osé faire si sereinement un si beau « premier roman », il faut lui dire un grand merci.

Sereine Berlottier, Nu précipité dans le vide, Fayard. 12 €.