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Adieu à John Berger

mercredi 4 janvier 2017, par Gérard Lambert - Ullmann

Le fait de nommer l’intolérable constitue en soi l’espoir. Quand quelque chose a été qualifié d’intolérable, une action doit s’ensuivre. Cette action s’expose à toutes les vicissitudes de la vie. Mais l’espoir pur réside essentiellement et mystérieusement dans la capacité de désigner l’intolérable comme tel.
John Berger. Et nos visages, mon coeur, fugaces comme des photos.

John Berger avait une façon bien à lui d’écrire. Il ne faisait pas vraiment de poésie, de romans, d’essais, tout en faisant tout cela, ses romans étant indéniablement des romans (Je ne me lasse pas de lire et relire D’ici là, le plus beau pour moi, le plus émouvant), sa poésie, de la poésie à la hauteur de Hikmet ou Rítsos, ses essais, des essais, quoique peu académiques. Mais il pouvait glisser d’une considération sur la politique américaine à la description d’un Cairn de pierres millénaires, d’une réflexion sur Rembrandt à la défense des Palestiniens, sans qu’on ressente la moindre rupture, le moindre aspect incongru dans cette errance.

C’est parce qu’il était guidé par un sens de la vie tout en délicatesse. Il savait rechercher et défendre l’humain dans tous les recoins du monde à commencer par les rudes combats contre l’aspect souvent intolérable de celui-ci. Mais sans aigreur, sans acidité, avec une très juste et ferme douceur, et une très lumineuse lucidité.
Ses livres se vendaient donc assez peu. Il le prenait « comme un honneur » n’étant pas « quelque part entre le succès et l’échec » mais « ailleurs ». Il faut dire qu’il avait de bonne heure fait un pied de nez à la « gloire » en annonçant, en 1972, qu’il ferait cadeau du montant du Booker Prize dont il était le lauréat aux Black Panthers et en expliquant pourquoi dans un discours qui fit s’étrangler tout l’establishment.
A cette « gloire » discutable, il préférait de loin faire les foins dans cette Savoie où il s’était installé et dont il a, aussi, si bien su parler. Il nous laisse donc « le parfum d’un éternel toujours. Un parfum aussi ancien que le sommeil, aussi familier aux vivants qu’aux morts ».