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Ils l’ont lu

vendredi 20 août 2021, par Gérard Lambert - Ullmann

C’est une histoire à la fois joyeuse et triste que nous conte Gérard Lambert-Ullmann, dans ce court récit aux allures de fête sans fin, qui se nomme justement Flonflons.{{}} Ce titre qui évoque des petits bals perdus, comme le chantait Bourvil, évoque avec nostalgie, c’est sûr, mais aussi avec joyeuseté, voire gaillardise, une vie comme on aimerait qu’elle soit, fraternelle, simple et gaie, vouée à l’amour, aux chansons, à la bonne chère.
Ce récit nous entraine dans une ville portuaire qui ressemble fort à Saint-Nazaire, où Gérard Lambert-Ullmann fut longtemps libraire. On suit quelques moments dans la vie de joyeux gaillards qui aiment se retrouver pour chanter, boire et manger bien et solidement (pas question ici de veganisme). Ces « copains d’la neuille », comme les appelait Caussimon, ont goût pour les musiques du peuple, parfois douloureuses, blues ou tziganes, ils ont le sens de la justice sociale, celle qui précisément n’existe pas en ce bas monde, ils portent en eux des siècles de revendications, d’espérances perdues et toujours renaissantes. Ceux qui connaissent Gérard Lambert-Ullmann sauront vite à la lecture de ce beau texte, qu’il est un peu de tous ces personnages. C’est son paysage intérieur qui est ici évoqué, ce sont les auteurs qui l’ont accompagne et nourri qui sont cités, cette confrérie qu’il a si vaillamment défendue lorsqu’il était libraire.
Ajoutons que le libraire est de plus un bel écrivain, à la plume élégante, joliment précieuse par endroits. Ainsi, pour dire le printemps. « Il y a dans l’air une lumière de petit baiser. C’est l’époque où le soleil caresse le vert sans le brûler. »
Si l’histoire est triste aussi, on ne dira pas pourquoi ici, mais on se demandera tout de même si, dans le monde qui vient, il existe une place pour des existences comme celles-ci, pour des vies « comme dans un film de Carné et Prévert ».
Alain Girard
Président de la Maison de la poésie, Nantes.

Gérard Lambert-Ullmann signe une chronique de la tendresse humaine.
« Il y a dans l’air une lumière de petit baiser. » 1
Tout laisse à penser que Gérard Lambert-Ullmann a déjà eu quelques vies, son visage le plus connu est celui d’un libraire de Saint Nazaire qui marqua les esprits par ses choix et invitations, mais sous d’autres patronymes il fut aussi rédacteur de nombreux articles parus dans les journaux les moins à droite que le pays ait connu, avec d’autres il mena le combat contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes tandis qu’à ses heures gagnées il gratte encore sa guitare et pousse le blues ou la chanson, menant les deux langues avec la même aisance.

De son expérience de libraire il avait fait un livre, Dernier Chapitre 2, nourri d’anecdotes, de rencontres, d’observations bien senties. Voici qu’il signe un roman qui fleure la guinguette et la bonne humeur, ce qui, en ces temps taciturnes, prend un air de gageure.
D’aucunes lectures ressemblent à des conversations amicales, elles ont le pittoresque d’un repas volubile et chaleureux, on y échange les traits d’esprits aussi bien que les couplets sublimes mémorisées par le populo. Flonflons est plus précisément le roman des amoureux de Vigo et de Carné, de Bernard Dimey ou de Gaston Couté, ou encore de Scutenaire et de Hardellet. Gérard Lambert-Ullman se régale de ce qui fuse de la bouche des amis, qu’il sait rapporter, mettre en valeur, d’où ce grand bonheur de lecture tellement l’expression est ici heureuse et savoureuse. Parmi quelques passages attrapés quasi au hasard, par exemple, une phrase en passant, purement descriptive, imagée, celle-ci : « Une moustache de brume matinale chatouille encore le canal. » 3
Devenus rares les livres de cet acabit, si peu soucieux de « branchitude », s’abandonnant à la truculence, au cocasse, au génie de l’instant. Voilà qui donne à boire quelque chose appartenant à ces familles d’écritures si bien culottées que la mode et l’esprit de sérieux ont malencontreusement placardisées. Tenez, ce morceau à part : « Il a beaucoup pleuvé cette nuit ! constate Pierrot. Pierrot aime tordre les mots. Il dit : gros binet, pour robinet, bire-touchon pour tire-bouchon, birioche pour brioche, oneille pour oreille (en hommage à Jarry). Il dit ; un hachis de parme entier, un chili de Concarneau. Il poivre avec du Pépère et essuie la table avec du salopin. Et quand il y a grand vent il trouve que ça sclouffe. » 4
Avec Flonflons, c’est comme la réapparition d’une époque qu’il faut bien dire, avec regret, révolue, où l’accélération moderniste était encore supportable et même pouvait faire rire. Le lecteur recevra ce livre réjouissant à la manière d’une carte postale envoyée d’un pays retardataire où il ferait bon retourner. Généreusement sont dispensés des extraits d’œuvres, livres ou chansons, comme on partage entre amis, jusqu’à une recette de cuisine empruntée au regretté Pierre Autin-Grenier. Ainsi les nourritures terrestres rejoignent celles de l’esprit, il paraît même qu’au final elles n’en font qu’une.
Sous des dehors de joyeux drilles, Lambert distille volontiers d’implacables remarques, et avec grand style, s’il vous plaît, ou encore écoutez-le parler de cette étendue qu’il a pour voisine : « Et puis il y a la mer. Cette lame de rasoir qui incise les plages, cogne les tôles et lave les flaques grasses des quais. La mer où pataugent lentement de lourds mastodontes à coques poisseuses et odeurs vomitives. La mer, cette farceuse méchante, gobant de son écume ses plus beaux cavaliers. Il en aime la robe huilée et les dessous mousseux où se noient – stricto sensu – le geste fatigué, le désir éreinté. Il en aime les gris qui giflent en novembre, et les rages appliquées, bouffant les falaises en bectances rapaces, puis langoureuses lianes pour les singes des plages, enlaçant les chevilles pour mieux piquer les cœurs. Vagues écrasant le temps, salopes tyranniques parfumées de chagrins, décorées d’ex-voto. Provocantes narquoises que l’imbécile écoute, se flattant de monter ces cavales assassines, brassé jusqu’à la mort par leurs ruses plombantes. » 5
Au final, ce goût de la formule colorée qui nourrit ce texte figure assez bien la désinvolture indispensable à toute analyse un peu sérieuse. Par ailleurs, on peut constater que le libraire n’a pas vraiment quitté son poste, à travers les pages du récit ou dans ses annexes il dispense maints conseils de lectures, signale des voies fertiles, des adresses, des lieux-amis, tel le Cabaret des Dilettantes, sis à Saint-Nazaire, qui sert de modèle au bistro-héro de ce livre fraternel, salutaire. « La tribu du cabaret est évidemment la plus touchée. Plus tard, ils chanteront ensemble, car chanter c’est encore la meilleure manière de pleurer. Plus tard encore, dans la nuit, ils baiseront rageusement. Ils écarteront les cuisses de la vie pour insulter la camarde. Puis ils fondront en pleurs dans l’aisselle aimée. Et ils ne pourront se sortir de la tête ce vieil air portugais narquois que Gilles jouait si bien : « Comemos vivos na vida ? Mortos a vida nos come » (Vivants, nous mangeons la vie. Morts, la vie nous mange.) » 6
Cette joie de vivre, sur laquelle j’insiste un peu trop facilement, ne peut que se marier, on l’a compris, à une sentimentalité généreuse, à une mélancolie follement humaine, très à l’écart de l’utilitarisme catastrophique ambiant. Le camarade Lambert-Ullmann a choisi son camp, celui de la tendresse humaine, qui est aussi celui aussi de la révolte, tout aussi… humaine.

Je n’ai rien refusé de la tendresse humaine (…)
homme au milieu des hommes (…)
J’acceptais la tempête et la tentation (…)
J’ai vu rire mes yeux dans les yeux d’un ami (…)
Je n’ai rien refusé de la souffrance humaine (…)
J’ai gardé les vaincus, leurs regrets et leurs peines (…)
Silencieusement bercés contre mon cœur (…)
J’ai pris ma fière part dans la révolte humaine (…)

[Extrait d’un texte de Marcel Martinet (mis en musique et chanté par Gérard Pierron) cité par Gérard Lambert-Ullmann dans Flonflons.]

Jean Claude Leroy, Mediapart, 17 juin 2021.

GERARD LAMBERT-ULLMANN, FLONFLONS, LE TEMPS QU’IL FAIT, 2021.

Notes
1) Gérard Lambert-Ullmann, Flonflons, Le Temps qu’il fait, 2021 ; p. 33
2) Gérard Lambert-Ullmann Dernier chapitre, éditions Joca Séria, 2014.
3) Gérard Lambert-Ullmann, Flonflons, Le Temps qu’il fait, 2021p. 55.
4) Ibid. p. 47.
5) Ibid. p. 14.
6) Ibid. p. 79.

Flonflons s’ouvre sur une épigraphe de Jean Yves Le Bellec, chanteur poète, trop tôt disparu : « Si la vie est tirée, qu’on la boive debout ». Un hommage à un ami, une offrande au sens profond de la camaraderie portée par Chico, Pierrot, Dorée, Evariste, Marion, Gilles, la petite Eva, Guillemette… Autant de personnages aux itinéraires chaotiques et aux caractères bien trempés. Avec un pôle central, le café restaurant Par ici la bonne soupe, un endroit comme il n’en existe plus beaucoup, où on gratte la guitare, on boit, on mange des assiettes consistantes, on chante, on danse, on refait le monde, on s’engueule, on se confie parfois, on s’étouffe de rire, on s’aime, on pleure, et autour, la ville et son côté « mal rasé » avec « ses cœurs tapants, ses bistrots fanés et ses mains solides » où « des mecs à gueules de prolos cassés se mettent à citer Nietzsche au détour d’un ballon de rouge ».
Flonflons a l’humour d’une chanson canaille, la chaleur d’un zinc quand la tempête gifle les rues tirées au cordeau, le souffle des résistances ouvrières, la solidité des solidarités, le déchirement d’une expiration d’accordéon, la poésie de la truculence populaire. Il y a un peu de Tontons flingueurs là-dedans, un peu de Jehan Rictus aussi, dans ses Soliloques du pauvre, la résignation en moins et les coups de griffes en plus.
Gérard Lambert nous offre aujourd’hui une lecture où les phrases se donnent à mâcher tant elles sont savoureuses et une magnifique déclaration d’amour à la culture ouvrière, là où les sentiments les plus forts s’expriment avec la plus grande pudeur, derrière les joyeux et bruyants Flonflons.

Mireil Peña
Estuaire, 2 juin 2021.