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River of no return ?

dimanche 12 juin 2022, par Gérard Lambert - Ullmann

Une fantôme peut elle poser sa tête sur la poitrine de celui qu’elle a aimé avant de mourir ? « Bien sûr que non » jureront les esprits rationnels, qui ne connaissent rien de ce que peuvent ceux et celles qui ont traversé le Jourdain. C’est pourtant ce que fait Claire avec laquelle Jean Baptiste a vécu 33 ans. Claire qui est passée du côté obscur il y a déjà longtemps, cancer fulgurant, mais qui ne cesse de tenir la main de Jean Baptiste ; croise les mains sur son ventre ; souffle sur les poils de sa nuque. Claire qui n’entend pas les trompettes du jugement dernier mais parle comme un ange, sans pourtant être un démon déguisé, n’en déplaise à Elvis.

Jean Baptiste s’appelle Rivière, comme Jean, l’écrivain, Roger, le champion cycliste, Marie, l’actrice du Rayon vert, et Pierre, l’assassin immonde. Avec Claire, il remonte le cours de cette rivière sans retour que fut leur vie ensemble.

Et nous voilà partis pour une balade en zigzags dans une époque où, pour certains, la pauvreté radicale était plus séduisante que l’avidité et la richesse excessive de ceux qui détruisent la terre. Ces bizarres Z-épis tombaient amoureux des vieilles pierres délaissées par des paysans exténués, sans imaginer un instant qu’en y logeant leurs utopies ils pourraient être déçus, épuisés, trompés.

Balade bercée de ballades, bien sûr, comme il allait de soi en ces jours aussi chantants qu’enchanteurs, depuis les airs Folk que Jean Baptiste Blowine sur son harmonica jusqu’aux averses sonores du Capitaine Cœur de Bœuf au festival d’Amougies, ce Woodstock belge où la jeunesse enthousiaste et bigarrée venue de toute l’Europe partagera une expérience de communion musicale, fraternelle et paisible, dans l’espérance d’un monde nouveau, créatif et harmonieux, entre deux tirades joyeusement subversives d’Aguigui Mouna, le vélocipédiste saltimbanque, trublion contestataire aussi rigolard que barbu.

Du premier baiser adolescent à la maturité complice ; de Rome à Lisbonne ; de la Belgique à l’Ardèche ; du Reggae des Caraïbes au Jazz de New York, Jean Baptiste creuse le temps. Cajolé par les oiseaux dont Claire lui rappelle les onomatopées -Piii witt crouou spitivitt- Jean Batiste, soignant ses souvenirs comme il soigne son jardin, ne se retire pas de l’amour ; ne se retire pas de la vie. Il suit le conseil de Claire : Avance sous les arbres dans le souffle du vent. Vis, aime, parle, chante, respire. Et cette vitalité qu’il lui offre prouve que la vie n’est qu’illusoirement mortelle, qu’elle peut triompher de ce qui l’a fait mourir. Il suffit pour ça, comme le suggère la chanson que Claire fredonne, d’une Little Tenderness, d’un peu de tendresse et… de beaucoup d’amour. Love, Love, Love.

Gérard Lambert-Ullmann

Lucien Suel, Rivière, Editions Cours Toujours, 150 p. 17 €, ISBN 9791091750066