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Une peine
vendredi 24 juillet 2009, par
Bien que ce texte évoque un livre, il n’est pas rédigé pour en faire la « promotion ». Et je serai fort en colère contre quiconque le prendrait ainsi.
Il est fait pour dire une peine liée à un moment de la vie du libraire dans sa librairie, et c’est la raison pour laquelle il figure ici.
Alors que les médias, d’un choeur unanime, incitaient le monde entier à dégouliner de larmes sur l’enterrement d’un zombie du show-biz, je lisais d’une traite le livre du père de Jérôme consacré au drame qui l’a frappé : la mort de son fils tué par des chauffards bourrés. Ce qui, pour les mêmes médias, n’est qu’un malheureux « fait divers » digne au mieux de quelques lignes. Et pourtant, Jérôme était quelqu’un digne d’intérêt, au moins autant et même (à mon avis) bien plus que le zombie sus-mentionné.
Je connaissais Jérôme. C’était un client de la librairie mais un client comme je les aime : un de ceux avec lesquels il devient agréable de parler longuement et sans souci étroitement commercial. Un de ceux qui donnent un sens autre qu’alimentaire au métier que j’ai choisi.
« Grand lecteur, amateur fervent de poésie, Jérôme était avide de découvertes, de lectures nouvelles. Il aimait comprendre et explorer les liens qui peuvent mener d’un auteur à un autre, les filiations, les affinités. Il comptait sur moi pour lui ouvrir quelques unes de ces portes et je le faisais avec grand plaisir car je voyais son vif intérêt, sa soif passionnée. Mais il ne se contentait pas de recevoir : il me donnait en retour son avis, son sentiment et avivait à son tour ma curiosité, ma réflexion. Il était intelligent, sensible, subtil. Apprendre sa disparition m’a fait une peine que je n’aurais pas imaginée : celle d’une perte, aussi douloureuse que stupide. Il ne quittera pas ma mémoire. »
Ces mots sont ceux que j’ai donnés à son père pour témoigner de notre relation. Aujourd’hui, après la lecture de son récit explorant dans le détail la connerie meurtrière et aussi l’insensibilité de l’obtuse mécanique administrative qui « répond » à de telles situations, j’ai envie de dire que je partage sa colère contre la « disparition des valeurs qui fondent la vie en société » ; contre la débilité qui peut ainsi anéantir quelqu’un qui avait « une haute idée de l’humanité » et la pratiquait, contrairement aux abrutis qui l’ont tué et à ceux qui ont, par leur stupidité et leur insensibilité, enfoncé le couteau dans la plaie douloureuse de ses proches.
Même si je pense différemment de ce père qui en appelle à de plus fermes condamnations contre les chauffards, car je sais que la peur de la punition n’a jamais empêché les cons d’agir connement, je le rejoins dans son écoeurement.
Sur la couverture du livre de son père, Jérôme me regarde de son regard ouvert, comme lorsque nous parlions de littérature, de poésie, c’est-à-dire : de vie (Quoiqu’en pensent les imbéciles pour lesquels lire c’est « intello » !) Maintenant, comme alors, ses yeux m’écoutent et me parlent. Maintenant, comme alors, j’en suis profondément touché.